Chroniques balnéaires

C’est à Damgan, côte Sud Bretagne, au bord de l'océan Atlantique…

 

… plus de 4 000 logements, dont 75 % de résidences secondaires, s’étirent aux beaux jours le long d’une étroite bande de terre de 10 km2 entre Océan et rivière de Pénerf. Pour se loger en villégiature dans la station balnéaire s’ajoutent 14 campings et parcs résidentiels de loisirs, deux hôtels bientôt trois. En additionnant les milliers de plagistes d’un jour et les pêcheurs à pied, ça fait du touriste au mètre carré. Ces Chroniques balnéaires racontent cette submersion terrienne.

 D’avril à novembre, les 1 908 Damganais permanents (Insee 2020) vivent la ritournelle de notre Calendrier national du travail : vacances et grands ponts de printemps, vacances d’été avec une arrière-saison qui s’effiloche jusqu’aux vacances de la Toussaint. Un ancien maire de Damgan avait estimé la population à 40 000 habitants certains jours de grande transhumance… L’hubris d’un maire, peut-être, mais les compteurs explosent ! Tourisme submersion !

Résidents dits « secondaires », estivants, baigneurs d’un jour, camping-caristes, campeurs, pêcheurs à pied… aussitôt arrivés, c’est la grande décompression. Le grand transfert sur la station balnéaire. Le visiteur commence de vivre en réalité augmentée : paroles bruyantes, vêtements stylés, bonheur surexposé. Dans les rues de Damgan commence une commedia dell’arte avec pour carburant l’égotisme contemporain et les à-coups de notre vie sociale néolibérale qui fatigue les corps et les esprits, autant pour ceux-qui-font-comme-y-peuvent dans notre monde fracturé que pour ceux-qui-y-trouvent-leur-compte. C’est le régime du Il-n’y-a-pas-de-temps-à-perdre et du Je-veux-tout-tout-de-suite. Touristes sans filtre !

Quel que soit votre habitus cher touriste vous êtes très attendu, l’économie de la Station balnéaire en dépend. Dès février, les bruits des embellissements des commerces amorcent la saison. Les commerçants sont livrés en objets de plage. Sacs, médailles, bols, foulards sont siglés Damgan. Vous savez après cinq minutes de shopping que vous êtes venus vivre vos vacances par 47°31’14 » de latitude nord et par 2°34’36 » de longitude ouest, c’est écrit partout.

Le cadre des vacances d’été à Damgan est posé. La station s’est apprêtée à recevoir ce transfert. Je n’ai qu’à relever le geste, la parole, l’appel téléphonique puissant du voisin de bistrot ou l’image qui détonne, me surprend, m’amuse, voire me fâche. Je filtre le tout dans ces Chroniques balnéaires pour étendre un peu le temps de ces vacances. Andy Warhol : « Ce qui n’est pas vu n’existe pas…. Ce qui n’est pas entendu n’existe plus… » 

Écouter, regarder, noter, raconter… je pratique. J’ai été tour à tour facteur, fonctionnaire, patron de bistrot (Archaos puis Le Pandémonium à Vannes), correcteur (un peu partout), journaliste (Ouest-France). J’entends bien que de consigner paroles et gestes de notre époque – même l’été à Damgan – est devenu commun, mais j’ai été béni par Georges Perec, ce parrainage inspire.

Paris VIe arrondissement, 18 octobre 1974, au café-tabac de la place Saint-Sulpice, l’écrivain s’attable devant une Suze avec carnet et crayon. Il entreprend de recenser tout ce qu’il voit sur la place : « Un facteur à sacoche. Un homme à béret genre curé…» Quelques lignes plus loin : « Un homme veut entrer dans le café; mais il commence par tirer la porte au lieu de la pousser. » C’est sûrement moi. (1)

Je vis dans le Paris de la place Saint-Sulpice, car je viens tout juste d’être muté en septembre dans l’Hôtel des finances à l’opposé du café-tabac. Je suis alors fonctionnaire matricule n° 82002 de feu la Direction générale des impôts. « Passe un 70, un jeune homme traverse une place… » C’est encore moi, c’est sûr.

Damgan 30 juillet 2022, une dame âgée, menue, passe tout en finesse devant le grand blockhaus de Damgan. Elle est habillée d’une jupe NOIRE et d’un corsage d’un BLANC absolu, ses cheveux sont du même BLANC absolu, elle tient à la main un sac de la marque Esprit, ROUGE… Le noir, le blanc absolu, le rouge, le bleu de l’Océan, un mouvement de couleurs, l’image a de l’allure. 

  1. Ces notes de Georges Perec sont publiées en 1982 sous le titre Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (Christian Bourgois éditeur).

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